Après avoir dû accepter de régler un vieux contentieux opposant Malabo à l'opérateur français Orange, le chef de l'État équato-guinéen a finalement renoncé à assister à la remise du "Prix International UNESCO-Guinée équatoriale pour la recherche en sciences de la vie", abondamment critiquée et prévue aujourd'hui, lundi 10 octobre, à 18h30 au siège de l'Unesco à Paris.
“Il était dans une rage folle !” Ce proche du président équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema Mbasogo croit même avoir rarement vu ce dernier dans un tel état. Humilié, vexé… Au terme d’un voyage rocambolesque entre Malabo, Lyon et Genève, le chef de l’État a dû se résigner à acquitter son pays d’une lourde créance.
Condamné en 2014 par la Chambre de commerce international à verser 132 millions d’euros à Orange pour régler un contentieux datant de 2011, le pays a finalement accepté de payer en plusieurs fois un peu moins de 150 millions d’euros, selon nos informations. La somme correspond au rachat par l’État équato-guinéen des 40% de l’opérateur semi-public Getesa dont le français souhaitait se séparer à la suite d’un désaccord tant sur la gouvernance que sur une clause qui n’aurait pas été respectée par Malabo.
Réunion secrète et tractations financières
Orange a usé de tous les moyens à sa disposition pour faire appliquer cette décision de justice. Le 1er octobre, apprenant qu’un avion de la compagnie nationale Ceiba international doit se poser à Lyon, l’opérateur obtient la saisie du Boeing par la justice française, provoquant un mini incident diplomatique puisqu’il transportait le chef de l’État lui-même. “Il a fallu affréter un jet privé pour conduire le président à Genève”, raconte un témoin.
Bloqué pendant plus d’une semaine, l’appareil n’aurait pourtant jamais dû faire cette escale française, mais rejoindre Genève directement, où Obiang Nguema avait prévu de séjourner plusieurs jours. C’était sans compter l’erreur malheureuse d’un membre du cabinet présidentiel. Lors des démarches administratives pour préparer la venue du président, il confond deux formulaires et fait parvenir aux autorités aéroportuaires suisses une demande d’atterrissage pour un avion militaire, et non civil. À l’approche de Genève, l’aéroport helvète demande au pilote de nationalité portugaise d’atterrir au plus près de la frontière, et de refaire une demande.
Situé à moins de 200 km, dans le sud-est de la France, Lyon-Saint-Exupéry est tout indiqué. Ce sera la fin du voyage. Aussitôt alertés, l’ambassadeur à Paris Miguel Oyono Ndong Mifumu, et l’avocat bordelais de l’État équato-guinéen Jean-Charles Tchikaya rejoignent les lieux. Acculés, les Équato-guinéens n’ont d’autre choix que d’entamer les discussions.
Elles se déroulent en deux temps : une première réunion « secrète » est organisée entre les responsables d’Orange Middle East and Africa et les dirigeants de Malabo. Elle se serait déroulée dans une atmosphère « d’écoute et de dialogue », selon un proche du dossier. Puis c’est au tour des avocats d’entrer en scène. Après d’âpres discussions sur les modalités (étalement du paiement notamment), l’affaire trouve son épilogue le vendredi 7 octobre au matin. “Nous attendons maintenant que l’avion puisse repartir, le temps de régler les formalités”, indique alors Miguel Oyono Ndong Mifumu à Jeune Afrique.
Renoncer à Paris, encore
Tout aurait pu en rester là, mais l’affaire va connaître son ultime rebondissement à 450 kilomètres de Lyon. Au siège de l’Unesco, avenue de Suffren à Paris, précisément. Ici, par deux fois et en à peine un an, le service de presse de l’organisation onusienne a dû se résoudre à reporter le troisième “Prix International UNESCO-Guinée équatoriale pour la recherche en sciences de la vie”. De quoi exaspérer les équipes.
Extrêmement critiqué, dès son lancement en 2012, par diverses ONG internationales et personnalités, dont Desmund Tutu, le Prix International UNESCO-Guinée équatoriale semblait voué à être éternellement reporté. Les attentats du 13 novembre 2015 avaient poussé à reprogrammer la cérémonie au printemps 2016. L’élection présidentielle équato-guinéenne avancée au mois d’avril, remportée par Obiang Nguema avec plus de 93% des voix, a une nouvelle fois obligé le staff à repousser. Et dès le mercredi 5 octobre, tandis que l’affaire Orange et du Boeing saisi à Lyon mobilise tous les esprits depuis quatre jours, plus personne ne croit encore que la cérémonie prévue cinq jours plus tard, le lundi 10 octobre, puisse se tenir.
Que faire ? Décaler en novembre ? Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, lui, ne l’entend pas ainsi. Celui qui finance entièrement ce prix via sa fondation (pour un montant de 3 millions de dollars) monte au créneau : “On ne change rien”, tranche-t-il depuis son hôtel genevois.
La mésaventure lyonnaise et les remous suscités une fois plus par la cérémonie l’obligent néanmoins à annuler sa venue, alors qu’il s’en réjouissait depuis des semaines. À son grand dam, il n’a pu s’y rendre qu’une seule fois, lors de la première édition en novembre 2012. “Nous enverrons une délégation, conduite par le deuxième Premier ministre chargé des Relations avec le parlement et des Affaires juridiques, Ángel Mesie Mibuy”, précise-t-on dans l’entourage du chef de l’État.
La plateforme d’opposition en exil, la Cored, et l’ONG Sherpa, de l’avocat William Bourdon (qui mène l’offensive des Biens mal acquis contre Teodorin, le fils du président) dénoncent elles “une opération politique menée avec des fonds dont la provenance pose problème pour une organisation internationale”. L’avocat parisien a fait parvenir une lettre à la directrice générale de l’Unesco Irina Bokova, accompagnée d’une copie d’un chèque de 3 millions de dollars, datant de 2009, à l’ordre de l’organisation onusienne et en provenance d’une banque maltaise. Une preuve, selon Sherpa, que l’origine des fonds est plus que suspecte. Et une raison non moins suffisante, selon elle, pour annuler ce prix. Silencieuse, l’Unesco n’a pas répondu.
Michael Pauron